Le vivre philosophe

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Extrait :

XLVI.

1. Ne va pas te proclamer partout philosophe, et ne parle pas à tout propos devant le vulgaire des principes de la philosophie ; mais conduis-toi selon ces principes. Ainsi, dans un festin, ne dis pas comment il faut manger, mais mange comme il convient. Rappelle-toi combien Socrate méprisait l'ostentation en toute chose, au point que si des jeunes gens le priaient de les recommander à quelques philosophes, il les conduisait lui-même, supportant de bonne grâce le peu de cas qu’on faisait de lui.

2. Si, au milieu de gens du commun, il est question de quelque principe de sagesse, garde le silence le plus possible : car il y a danger que tu rejettes un mets mal digéré. Si tu t’entends dire que tu ne sais rien, et que tu ne te sentes pas mordre par ce reproche, connais par là que tu commences à réussir. Quand les brebis ont mangé, elles ne vont pas montrer à leur berger l’herbe qu’elles ont prise ; mais, après avoir digéré leur pâture, elles produisent et elles montrent de la laine, du lait. Ainsi toi, n’étale pas de préceptes aux yeux des ignorants, mais montre-leur les effets que ces préceptes ont produits dans ta conduite.

ÉPICTÈTE, Manuel, tr. H. Joly, Librairie Delain, 1901.

Questions :

1. L'exhortation du premier paragraphe de l'extrait nous permet de définir ce qu'est le sage, par opposition à ce qu'il ne doit pas être : expliquez en quoi la sagesse consiste à vivre en philosophe. 

2. Expliquez l'exemple de Socrate : est-il, ici, pris seulement pour l'humilité qui le caractérise ? L'humilité est-elle à rechercher pour elle-même, ou bien résulte-t-elle de la sagesse consistant à ne pas chercher à influer sur ce qui ne dépend pas de nous ?

3. Si la sagesse est finalement le plus précieux des trésors, consistant en un art de vivre heureux en toutes circonstances, ne serait-il pas plus juste de saisir toutes les occasions d'en faire bénéficier les autres, en la professant auprès d'eux ? Pourquoi telle n'est pas l'attitude du sage ?

4. Expliquez : "Si tu t’entends dire que tu ne sais rien, et que tu ne te sentes pas mordre par ce reproche, connais par là que tu commences à réussir".

a) Pourquoi en société le sage paraît-il le plus ignorant de tous ? Comparez cela avec la manière dont les prisonniers, dans l'allégorie de la caverne, au début du livre VII de la République de Platon, considèrent le sage lorsqu'il les rejoint dans l'obscurité :

"Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (puisque l'accoutumance à l'obscurité demandera un certain temps), ne va-t-on pas rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ?"

PLATON, La République, VII, dans Œuvres complètes de Platon, T. IV, tr. R. Bacou, Classiques Garnier, 1938.

b) Pourquoi la sagesse consiste-t-elle précisément à ne pas être blessé de reproches indus, qu'importe si ceux-ci concernent la sagesse ou tout autre sujet ?

5. Expliquez l'image des brebis : en quoi la vie que mène le sage est-elle l'analogue de la laine des brebis ? Quelle a été, pour cela, l'herbe nourricière du sage ?